LIbéralismes politique et économique : convergences et divergences

C’est connu, les mots tendent des pièges. Michéa s’est pris les pieds dedans au sujet du libéralisme (cf. mon billet précédent). Deux familles de pensée s’en réclament, et il est tentant de voir dans l’un la déclinaison économique de l’autre, fondamentalement politique. Pourtant, on peut être libéral (politiquement) sans être libéral (économiquement). Car, par-delà les convergences, réelles, unissant les deux doctrines, les divergences sont fortes.

Les deux chantent l’éloge de l’individu et entendent limiter l’immixtion de l’État. Mais, là où le libéralisme politique naît d’une méfiance envers le pouvoir, le libéralisme économique lui fait confiance. La différence est de taille. Tout pouvoir corrompt est, en substance, le message fondamental de la branche politique du libéralisme. C’est pourquoi il faut non seulement accorder des droits à chaque individu de manière inconditionnelle mais aussi organiser le pouvoir administratif de telle sorte à ce qu’il ne puisse en être abusé. Puisque l’on ne peut se passer d’un État, autant essayer d’en contenir les débordements potentiels ; de tels débordements ne viennent pas de la nature juridique, publique ou privée, de leur auteur mais d’une caractéristique immuable de la nature humaine. Le pouvoir tourne la tête. Avec lui, les principes moraux tendent à s’envoler. Aussi ferme soit la résolution, aussi vertueux soit son titulaire, la pente est raide, et tous viennent y glisser tôt ou tard. La réflexion libérale tire son essence d’un profond pessimisme.

Par où elle contraste nettement avec la branche économique du libéralisme qui est, elle, toute d’optimisme. Faites confiance aux acteurs économiques ! Laissez-faire, laissez-passer ! est son injonction permanente. Si on laisse faire les titulaires du pouvoir économique, les capitalistes, on ira vers le bien commun, l’optimum social. Dans ce domaine, il n’y a pas, comme en politique, de freins et de contrepoids. D’équilibre des pouvoirs, il ne saurait être question, puisque la concurrence qui, on le sait, est féroce, est exaltée. Le déséquilibre est ainsi la juste sanction de la dynamique concurrentielle. Toute distorsion apportée à la saine et sainte compétition est dénoncée. Et, pour cela, le droit est indispensable. Là se limite son intervention : donner forme aux échanges marchands.

Comment franchir le gouffre entre ces deux libéralismes ? En réfléchissant aux moyens de la liberté : les fruits de son travail, les possessions terrestres. Nul, mieux que moi, n’est en mesure d’affirmer ce qui est bon pour moi, clamera fièrement un libéral. Il s’ensuit qu’il faut me laisser maître de disposer de mes biens à mon loisir. L’adhésion simultanée aux deux doctrines se paye au prix de l’oubli. Car, alors, la méfiance s’est dissipée et changée en confiance sous prétexte que je suis détenteur du pouvoir économique. Mais, là aussi le pouvoir corrompt : thésaurisation et spéculation et leurs corollaires, pauvreté et chômage, sont la rançon inévitable du libéralisme sans frein. On pourra connaître de brèves périodes d’euphorie collective qui font illusion, mais le lendemain du krach, la gueule de bois viendra frapper à grands coups. Au nom même des principes du libéralisme politique, il convient de museler le libéralisme économique, bref de réguler fortement et continûment. Ici pas plus qu’ailleurs on ne peut faire confiance aux individus, sinon en enserrant leurs pouvoirs dans un système de freins et contrepoids qui, dans le domaine économique, ont nom « redistribution fiscale », « protection sociale », « service public » et « réglementation ».

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A propos Michael Laine

Entré en littérature et en dissidence intellectuelle depuis plus de 10 ans. Ai commis quelques rinçures qui ont eu l'heur d'être publiées. Ai fondé une chambre de bonne d'édition visant à nourrir d'authentiques débats, dans le respect de la vérité, c'est-à-dire loin des mises en scènes spectaculaires de différends artificiels des simulacres médiatiques. Domaines de prédilection : économie, philosophie, sociologie, politique, littérature et cinéma
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