La quadrature du FOG

L’esprit humain aime à repousser ses limites. En sciences, la théorie des cordes, le boson de Higgs, l’antimatière défient l’entendement. En mathématiques, on a été jusqu’à inventer les nombres imaginaires pour tenir en haleine la volonté de conquête. Pas en reste sur ce chapitre, l’histoire de la philosophie est celle de ses paradoxes, de ceux de Zenon et Epiménide à ceux de Moore et Russell. Dorénavant, il faudra ajouter à cette glorieuse famille la quadrature du FOG, alias Franz-Olivier Giesbert, à moins que ce ne soit l’inverse, on ne sait plus très bien : plus on le lit, moins on y voit clair. Sans doute l’énigme qu’il nous propose résistera-t-elle aux siècles et dans mille ans les savants les plus éminents se pencheront encore avec un air désemparé sur son cas.

Prenons son dernier ouvrage, Le Président, un petit bijou métaphysique qui nous offre une langoureuse méditation sur la fragilité de la pensée. Le sujet officiel – le sarkozysme en ses ires et délires – importe peu car il s’agit avant tout d’égarer le lecteur dans une galerie de miroirs rationnels dont il ne pourra plus s’extraire indemne. D’ailleurs, à ce propos, un premier paradoxe s’esquisse : très rapidement, on comprend que le biographe ne peut parler de son sujet sans parler de lui, si bien que, au fil des pages, on ne sait plus de qui la vie nous est narrée. Je ne peux être moi sans lui, ni lui moi sans lui ; moi sans lui c’est un peu lui sans moi. C’est bien le lui qui est en moi qui fait le moi qui est en lui. Cela soulève l’angoissante question : comment être moi sans être lui qui est moi, qui suis moi sans être lui tout en l’étant ? On en a la tête qui tourne.

Avec une telle entrée en matière, le ton est donné. Un deuxième paradoxe surgit, propre à susciter la plus grande perplexité philosophique. La proximité avec les hommes politiques est une exigence de la profession journalistique, clame FOG. Sans elle, on ne peut connaître son sujet. Dans le texte, cela donne : « J’ai toujours été un journaliste connivent. La chose est assez mal vue par une partie de ma profession qui pense que, pour bien connaître la classe politique, il vaut mieux ne pas la fréquenter : cette école, qui a ses fidèles, préfère éditorialiser en chambre plutôt que de se laisser corrompre ou même distraire par la réalité. C’est moins dérangeant. » Seule la connivence, donc, permet d’accéder au réel. Elle autorise l’interrogation au plus intime, le suivi quotidien, l’analyse de terrain. Si vous n’êtes pas régulièrement invité par Sarkozy à boire du Coca-Cola Light et à manger des Snickers, vous ne pouvez pas le connaître. Ainsi vont les affaires de l’État. Pourtant, ce théorème de la connivence voisine avec celui de l’inanité de la connivence. Le théorème et sa négation sont simultanément valides. Abîme métaphysique. Désarroi de la pensée. « Je n’ai jamais prisé les entretiens avec les chefs d’État : j’en suis généralement rentré bredouille. […] Ces gens-là s’écoutent parler en prenant la pose devant leurs conseillers pâmés. [… Sarkozy] ne raconte rien. Spécialisé dans le registre saoulant de l’autojustification et de l’autocélébration, il ne cherche qu’à convaincre et c’est toujours le même disque. » Quelle peut bien être, alors, l’utilité de la connivence ? Mystère. Cette quadrature du FOG est en attente du futur Wittgenstein pour sa résolution.

Le troisième théorème est énoncé de façon limpide. « Notre métier consiste, pour l’essentiel, à expliquer aux autres des choses que l’on ne comprend pas soi-même. Il ne faut simplement pas hésiter à se contredire du tout au tout. Vérité un jour, erreur le lendemain. » Dans ce monde de ténèbres où l’homme avance à tâtons, la vérité n’est qu’une illusion de plus. Dire tout et son contraire, voilà le métier de journaliste ! Varier au gré du souffle de l’histoire, ne répondre de rien puisqu’il n’y a rien à répondre… Le paradoxe philosophique met en lumière la fragilité de nos raisonnements : qu’est-ce qu’une explication de ce que l’on ne comprend pas ? Ainsi donc, le rôle du journaliste est de parler d’économie alors qu’il n’y connaît rien, d’islam alors qu’il ne sait pas différencier le sunnisme du chiisme, de politique alors que l’histoire de nos institutions lui est étrangère… On est tous un peu journalistes, alors… Ce paradoxe en débouche sur d’autres, dans une réverbération infinie… La différence entre un journaliste et un quidam est donc, à suivre FOG, que le premier est payé pour les conneries qu’il exprime. Quand il voit du sang couler, le journaliste pourra affirmer qu’il s’agissait de gelée de groseilles. Un jour, il pointait les dangers du capitalisme financiarisé, le lendemain il fustigera l’État et ses déficits. Que ce dernier soit intervenu pour remédier aux dysfonctionnements dudit capitalisme le laissera de marbre, puisqu’il ne faut pas hésiter à se contredire du tout au tout. Sans la moindre tâche de remords, bien évidemment. Les mauvaises langues persiffleront : FOG impute à son métier ce qui relève de ses propres insuffisances… Non, les mauvaises langues exagèrent vraiment… On peut tout à fait expliquer des choses dont on ne comprend pas le premier mot : je n’ai rien entravé au bouquin de FOG ; cela ne m’a pas empêché d’écrire ce billet…

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A propos Michael Laine

Entré en littérature et en dissidence intellectuelle depuis plus de 10 ans. Ai commis quelques rinçures qui ont eu l'heur d'être publiées. Ai fondé une chambre de bonne d'édition visant à nourrir d'authentiques débats, dans le respect de la vérité, c'est-à-dire loin des mises en scènes spectaculaires de différends artificiels des simulacres médiatiques. Domaines de prédilection : économie, philosophie, sociologie, politique, littérature et cinéma
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